Job 6-9
La Bible du Semeur
Réponse de Job à Éliphaz
Job se sent trahi par ses amis
6 Job prit la parole et dit :
2 Ah ! si mon affliction |pouvait être pesée
et s’il était possible |de mettre toute ma misère |sur les plateaux d’une balance,
3 assurément mon malheur |est plus pesant |que le sable des mers,
c’est pourquoi mes paroles |dépassent la mesure.
4 Car les flèches du Tout-Puissant |sont plantées dans mon être
et mon esprit boit leur poison[a],
oui, je suis assailli |par les terreurs que Dieu m’envoie.
5 Un âne se met-il à braire |pendant qu’il broute l’herbe tendre ?
Un bœuf se met-il à mugir |quand il est devant son fourrage ?
6 Un repas fade et insipide |se mange-t-il sans sel ?
Peut-on trouver de la saveur |dans le blanc d’œuf ?
7 Ce qu’autrefois je refusais |est devenu ma nourriture.
C’est là mon pain, |même s’il me répugne[b].
8 Ah ! qui fera |aboutir ma requête !
Que Dieu m’accorde |ce que j’espère !
9 Que Dieu consente |à m’écraser !
Qu’il laisse aller sa main |et me détruise.
10 J’aurai du moins un réconfort,
et je tressaillirai de joie |au sein de tourments implacables,
car je n’aurai trahi |aucun des ordres du Dieu saint.
11 Pourquoi espérerais-je |quand je n’ai plus de force ?
A quoi bon vivre encore |vu la fin qui m’attend ?
12 Du roc ai-je la résistance ?
Mon corps est-il de bronze ?
13 Et puiserai-je encore en moi |des ressources pour m’en sortir ?
Toute aide m’est ôtée.
14 L’homme désespéré |a droit à de la compassion |de la part d’un ami,
oui, même s’il cessait[c] de craindre |le Tout-Puissant.
15 Mes amis m’ont trahi |comme un torrent,
comme un de ces cours d’eau |dont le lit est à sec.
16 Lorsque la glace fond |et que les neiges |s’engloutissent en eux,
ils charrient des eaux troubles.
17 Mais à la saison sèche, |leurs cours tarissent.
Quand viennent les chaleurs, |ils s’éteignent sur place.
18 Pour eux, les caravanes |dévient de leur chemin,
elles vont s’enfoncer |loin dans les solitudes, |et elles y périssent.
19 Les caravanes de Téma[d] |les cherchent du regard,
les convois de Saba[e] |comptent sur eux.
20 Mais ils sont pleins de honte |d’avoir mis leur espoir en eux :
arrivés jusqu’à eux |ils étaient tout penauds.
21 C’est là ce que vous êtes |pour moi en ce moment :
en voyant mon malheur, |vous êtes pris de peur !
22 Et pourquoi donc ? |Vous ai-je dit : |« Donnez-moi de vos biens
et, de votre fortune, |payez une rançon,
23 pour me faire échapper |aux mains de l’adversaire
et pour me délivrer |du pouvoir des tyrans » ?
24 Faites-le-moi savoir |et moi je me tairai.
En quoi ai-je failli ? |Faites-le-moi comprendre !
25 Ah ! Combien seraient efficaces |des discours équitables !
Mais à quoi servent vos critiques ?
26 Avez-vous l’intention |de blâmer de simples paroles,
des mots jetés au vent |par un désespéré[f] ?
27 Sur un orphelin même, |vous iriez vous ruer
et feriez bon marché |de votre ami intime.
28 Mais, veuillez cependant |me regarder en face :
vous mentirais-je effrontément ?
29 Revenez en arrière, |ne soyez pas perfides.
Oui, revenez encore, |car c’est mon innocence |qui est en cause.
30 Y a-t-il dans ma bouche |de la perversité ?
Mon palais ne sait-il |plus discerner le mal ?
Pourquoi la souffrance ?
7 Le sort de l’homme sur la terre |est celui d’un soldat
et ses jours sont semblables |à ceux d’un mercenaire.
2 Il est comme un esclave |qui soupire après l’ombre[g]
et comme un ouvrier |qui attend son salaire.
3 J’ai reçu en partage |des mois de déception,
j’ai trouvé dans mon lot |des nuits de peine amère.
4 Dès que je suis couché, je dis : |« Quand vais-je me lever ? »
Sitôt levé, je pense : |« Quand donc viendra le soir[h] ? »
Et, jusqu’au crépuscule, |je suis agité de douleurs.
5 Mon corps est couvert de vermine |et de croûtes terreuses,
ma peau s’est crevassée, |partout, mes plaies suppurent.
6 Mes jours se sont enfuis |plus rapides que la navette |d’un tisserand habile.
Ils tirent à leur fin |sans qu’il y ait d’espoir.
7 Rappelle-toi, ô Dieu, |que ma vie n’est qu’un souffle
et que jamais mes yeux |ne reverront plus le bonheur.
8 Oui, l’œil qui me regarde |ne pourra plus me voir,
tes yeux me chercheront |et j’aurai disparu.
9 Tout comme une nuée |qui se dissipe et passe,
l’homme va dans la tombe[i] |pour n’en plus remonter.
10 Il ne reviendra plus |dans sa maison
et sa demeure même |ne le reconnaît plus.
11 C’est pourquoi je ne veux |plus réfréner ma langue,
je parlerai |dans ma détresse,
je me lamenterai |car mon cœur est amer.
12 Suis-je donc une mer |ou un monstre marin
pour que tu établisses |contre moi, une garde[j] ?
13 Si je me dis : |« Mon lit m’apaisera,
ma couche m’aidera |à porter ma douleur »,
14 alors tu m’épouvantes |par d’affreux cauchemars
et tu me terrifies |par des visions nocturnes.
15 J’aimerais mieux être étranglé,
la mort vaudrait bien mieux |que vivre dans ces os.
16 Je suis plein de dégoût ! |Je ne durerai pas toujours.
Laisse-moi donc tranquille : |ma vie est si fragile.
17 Qu’est-ce que l’homme, |pour que tu fasses |un si grand cas de lui,
et pour que tu lui prêtes |une telle attention,
18 pour que tu l’examines |matin après matin,
et pour qu’à chaque instant |tu viennes l’éprouver ?
19 Quand détourneras-tu |enfin tes yeux de moi ?
Ne lâcheras-tu pas |un instant ton étreinte, |ne fût-ce que le temps |d’avaler ma salive ?
20 Et puis même si j’ai péché, |que t’ai-je fait, à toi, |censeur des hommes ?
Pourquoi donc m’as-tu pris pour cible ?
Suis-je devenu une charge[k] ?
21 Pourquoi ne veux-tu pas |pardonner mon offense
et ne passes-tu pas |sur mon iniquité ?
Bientôt j’irai dormir |au sein de la poussière
et tu me chercheras, |mais je ne serai plus.
Premier discours de Bildad
Dieu est juste
8 Bildad de Shouah prit la parole et dit :
2 Combien de temps encore |tiendras-tu ces discours ?
Oui, jusqu’à quand |tes propos seront-ils |un vent impétueux ?
3 Dieu fléchit-il le droit,
ou bien le Tout-Puissant |fausse-t-il la justice ?
4 Si tes fils ont péché,
il a dû les livrer |aux conséquences de leurs fautes.
5 Mais si tu as recours à Dieu,
si tu demandes grâce |auprès du Tout-Puissant,
6 si tu es sans reproche, |si tu es droit,
il ne tardera pas |à s’occuper de toi,
et il rétablira |pleinement ta justice[l].
7 Ta condition passée |semblera peu de chose,
tant sera florissante |ta condition nouvelle.
8 En effet, interroge donc |les générations précédentes
et médite avec soin |l’expérience des pères,
9 car nous sommes d’hier |et nous ne savons rien
puisque nos jours sur terre |s’effacent comme une ombre.
10 Les anciens t’instruiront |et ils te parleront ;
ils tireront de leur intelligence |les sentences suivantes :
11 Le papyrus croît-il |en dehors du marais ?
Le jonc peut-il pousser sans eau[m] ?
12 Alors qu’il est en fleurs |sans qu’on l’ait arraché,
avant les autres herbes, |déjà, il se dessèche.
13 Telle est la destinée |de ceux qui oublient Dieu,
et l’espoir de l’impie |sera anéanti.
14 L’objet de sa confiance |sera brisé comme un fil[n],
il place son espoir |dans une toile d’araignée.
15 Il prend appui sur sa maison |mais elle ne résiste pas,
il se cramponne à elle |mais elle ne tient pas debout.
16 Sous le soleil, |il est plein de vigueur,
et ses rameaux s’étendent, |couvrant tout son jardin,
17 il entrelace ses racines |à un monceau de pierres
et elles se fraient un chemin |jusqu’au cœur des rochers.
18 Mais il s’est arraché |du lieu qu’il occupait ;
et celui-ci prétend : |« Je ne t’ai jamais vu. »
19 Voilà quelle est la joie |qu’il trouve sur sa voie.
Et d’autres, à leur tour, |de la poussière germeront.
20 Voici, Dieu ne rejette |jamais l’homme innocent,
et jamais il ne prête |main-forte aux malfaisants.
21 Il remplira encore |ta bouche d’allégresse,
et mettra sur tes lèvres |des cris de joie.
22 Tous ceux qui te haïssent |seront couverts de honte.
Les tentes des méchants |disparaîtront.
Réponse de Job à Bildad
Dieu est le plus fort
9 Alors Job prit la parole et dit :
2 Oui, certes, je le sais, |il en est bien ainsi :
comment un homme |serait-il juste devant Dieu[o] ?
3 Qui donc s’aviserait |de plaider contre lui ?
Même une fois sur mille, |il ne pourra répondre[p].
4 Dieu est riche en sagesse, |et puissante est sa force.
Qui pourrait le braver |et s’en sortir indemne ?
5 Lui qui déplace les montagnes |sans qu’elles ne s’en doutent
et les renverse en sa colère,
6 il fait trembler la terre |jusqu’en ses fondations :
ses colonnes chancellent.
7 Il ordonne au soleil |de ne pas se lever[q],
et met sous scellés les étoiles.
8 Lui seul déploie le ciel
et marche sur la mer, |sur ses plus hautes vagues.
9 Il a fait la Grande Ourse, |Orion et les Pléiades[r],
et les constellations australes.
10 Il accomplit des œuvres |grandioses, insondables,
et des prodiges innombrables[s].
11 S’il passait près de moi, |je ne le verrais pas,
puis il s’éloignerait, |je ne m’en apercevrais pas.
12 Qui peut lui retirer |la proie qu’il prend de force ?
Qui osera lui dire : |« Que fais-tu là ? »
13 Dieu ne retient pas sa colère.
Et devant lui s’effondrent |tous les appuis de l’orgueilleux[t].
14 Combien moins oserais-je |lui donner la réplique,
et quels mots choisirais-je |pour plaider avec lui ?
15 Même si je suis juste, |je ne peux rien répondre.
Je ne puis qu’implorer |la pitié de mon juge.
16 Si même, à mon appel, |il daignait me répondre,
je ne pourrais quand même |pas croire qu’il m’écoute,
17 car il m’a assailli |par un vent de tempête,
il a multiplié |mes blessures sans cause.
18 Il ne me permet pas |de reprendre mon souffle,
tant il me rassasie de fiel.
19 Recourir à la force ? |Mais il est le plus fort.
Ou faire appel au droit ? |Qui donc l’assignera[u] ?
20 Si j’étais juste, |ma bouche même me condamnerait.
Si j’étais innocent, |ma bouche me donnerait tort.
21 Suis-je vraiment intègre ? |Je ne sais où j’en suis :
je méprise ma vie.
22 Que m’importe, après tout ! |C’est pourquoi j’ose dire :
« Il détruit aussi bien |l’innocent que l’impie. »
23 Quand survient un fléau |qui tue soudainement,
Dieu se rit des épreuves |qui atteignent les justes.
24 Quand il livre un pays |au pouvoir des méchants,
il en aveugle tous les juges.
Et si ce n’est pas lui, |alors, qui est-ce donc ?
25 Mes jours ont fui plus vite |qu’un agile coureur,
ils se sont écoulés, |mais sans voir le bonheur,
26 ils ont glissé, rapides |comme un esquif de jonc[v],
comme le vol d’un aigle |qui fonce sur sa proie.
27 Si même je me dis : |« Laisse donc de côté ta plainte,
va, change de visage, |ressaisis-toi ! »,
28 je redoute tous mes tourments
car je sais bien |que tu ne me traiteras pas |en innocent.
29 Je serai tenu pour coupable !
Alors, pourquoi devrais-je |me donner tant de peine en vain ?
30 J’aurais beau me laver |avec de l’eau de neige,
oui, j’aurais beau me nettoyer |les mains avec de la potasse[w],
31 toi tu me plongerais |dans un bourbier fangeux
pour que mes habits mêmes |me prennent en horreur.
32 Car il n’est pas |un homme comme moi, |pour que je lui réplique
ou pour que nous comparaissions |ensemble au tribunal.
33 Il n’y a pas[x] d’arbitre |pouvant s’interposer
et trancher entre nous,
34 qui détournerait de moi son bâton
pour que les terreurs qu’il me cause |ne m’épouvantent plus !
35 Alors je parlerai |sans avoir peur de lui.
Mais ce n’est pas le cas, |je suis tout seul avec moi-même !
Footnotes
- 6.4 Allusion à des flèches empoisonnées, utilisées fréquemment autrefois, et à une troupe d’assaillants.
- 6.7 Hébreu peu clair.
- 6.14 Autre traduction : sinon il cessera.
- 6.19 Tribu du nord de l’Arabie qui se livrait au commerce par caravanes (Gn 25.15 ; Es 21.14 ; Jr 25.23 ; 1 Ch 1.30).
- 6.19 Voir note 1.15.
- 6.26 Autre traduction : et de jeter au vent les propos d’un désespéré.
- 7.2 C’est-à-dire le soir, qui apporte fraîcheur et repos après le travail du jour.
- 7.4 Sitôt levé … le soir : d’après l’ancienne version grecque ; le texte hébreu traditionnel a : le soir tarde à venir.
- 7.9 Autre traduction : dans le séjour des morts.
- 7.12 Le monstre marin : image des puissances souvent hostiles à Dieu et pourtant domptées par le Seigneur (voir 3.8 et note).
- 7.20 D’après quelques manuscrits du texte hébreu traditionnel, une ancienne tradition de copistes et l’ancienne version grecque. La plupart des manuscrits du texte hébreu traditionnel ont : je suis devenu une charge pour moi-même.
- 8.6 Autre traduction : et à rétablir pour toi une situation juste.
- 8.11 Probablement un proverbe égyptien signifiant que les plantes les plus luxuriantes, qui croissent le plus rapidement comme le papyrus et le jonc, dépérissent vite si elles n’ont plus d’eau, c’est-à-dire que les gens prospères sont dépendants des conditions de leur prospérité.
- 8.14 brisé comme un fil : sens incertain.
- 9.2 Autre traduction : aurait-il gain de cause dans un contentieux avec Dieu ?
- 9.3 Autre traduction : Dieu ne lui répondra pas.
- 9.7 Eclipse ou obscurcissement par des nuages.
- 9.9 Constellations mentionnées aussi en 38.31-32, les deux dernières dans Am 5.8.
- 9.10 Reprise de l’affirmation d’Eliphaz en 5.9.
- 9.13 D’autres comprennent : les alliés du monstre des mers.
- 9.19 D’après l’ancienne version grecque ; le texte hébreu traditionnel a : me fera comparaître.
- 9.26 Allusion aux embarcations égyptiennes faites de tiges de papyrus ou de jonc tressées (Ex 2.3).
- 9.30 Ou : de la soude. Ou bien il pourrait encore s’agir d’une plante utilisée pour nettoyer.
- 9.33 Certains manuscrits hébreux, l’ancienne version grecque et la version syriaque ont compris : au moins s’il y avait.
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